Appel à contributions, congrès de l’AGES 2025: “Lire les territoires: explorations germanophones de l’espace et de ses dynamiques”, Amiens, 5.06.2025-7.06.2025

Université de Picardie Jules Verne, avec la collaboration de la Technische Universität de Dortmund

Les propositions – titre de travail et présentation (entre 250 et 350 mots) – en allemand ou en français, sont à envoyer par mail avant le lundi 16 septembre 2024 à l’adresse ages2025@u-picardie.fr. La durée envisagée des communications est de 20 à 25 minutes.

appel à communications (français)

appel à communications (allemand)

La question de la perception de l’espace, mais aussi des espaces de perception, se pose de façon singulière au sein de l’espace germanique. Encore aujourd’hui formé d’une pluralité de territoires, il a constitué dans le passé une mosaïque de gouvernements, de peuples, de langues et de coutumes particularistes, elle-même issue d’un Empire franc au caractère hybride, qui mêlait les composantes germaniques et gallo-romaines. À la fin du XIXe et au XXe siècle, les projets inspirés par le concept social-darwinien d’espace vital (Lebensraum) contribuèrent au déclenchement des deux conflits mondiaux, dont les conséquences néfastes restent sensibles jusqu’à aujourd’hui. La production savante et artistique de langue allemande reflète la permanence de l’interrogation sur l’espace et le territoire, en même temps que ses nombreuses ramifications thématiques.

Aller à la rencontre d’autres aires, présumées inconnues ou déjà répertoriées, en faire l’étude et la description, paraissait souvent s’inscrire dans une démarche de déchiffrement, de décryptage, de décodage : les terres appréhendées furent aussi des zones à décloisonner, à intégrer à des projets globaux (d’évangélisation, de circulation des idées et des techniques, d’efficacité économique, de rationalisation écologique). La rencontre (parfois virtuelle) avec les lieux connus et inconnus a pu motiver des pérégrinations savantes, autant qu’elle a pu servir de prétexte à un nomadisme dilettante ; elle a favorisé l’accumulation des connaissances ainsi que la satisfaction de convoitises matérielles. Aussi l’exploration réelle ou figurée des territoires a-t-elle donné lieu, depuis les sources anciennes et jusqu’aux récits actuels, à des réflexions stimulantes sur la compréhension (ou l’incompréhension) de notre environnement dans son évolution, et sur les outils théoriques qui la modèlent. Les interrogations récurrentes sur l’ailleurs et sur l’ici- même, et sur les dynamiques de circulation qui travaillent les territoires, forment certainement l’une des grandes sources d’inspiration de l’écriture tant érudite que créative. Les réflexions liées au territoire et à la territorialisation sont aussi d’actualité dans le contexte des questions environnementales et des conflits de compétences entre les régions (Länder, cantons) et l’État fédéral dans l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse d’aujourd’hui.

La germanistique s’attache depuis longtemps à ressaisir les enjeux liés à l’espace et à ses dynamiques à travers des approches spécifiques en littérature, en histoire des idées, en civilisation, en linguistique, en didactique. L’essor de champs de recherche interdisciplinaires et transaréaux comme les transferts culturels, les cultural studies, les postcolonial studies ou encore les urban studies, pour ne citer que ceux qui affectent le plus directement notre perception de l’espace, a renouvelé en profondeur ces terrains d’investigation, au gré des « tournants » qui se sont succédé dans les sciences humaines et sociales depuis les années 1980 ; et l’on pense ici en particulier au spatial turn avec ses réflexions d’abord en géographie, sur la polysémie des notions de lieu – place –, d’espace – space – et de paysage – landscape – adossées à des interrogations sur la pertinence du concept de région. Ces questionnements appellent des mises en perspective multiscalaires et décentrées, aussi bien en termes de synchronie (approches [trans-]aréales, régionales, transfrontalières) que de diachronie (histoire croisée, notions d’espace mémoriel et de mémoire multidirectionnelle), de systèmes (réseaux, nœuds, hiérarchies) et de configurations

(centre-périphérie, arborescence-rhizome).

Au sens propre, la thématique « lire les territoires » invite à préciser la cartographie littéraire et utilitaire des lieux et à observer selon quelles modalités, hier comme aujourd’hui, les territoires ont été vus et appréhendés. On pense ici aux instruments du savoir, aux supports et aux outils utilisés pour la connaissance du « terrain » (encyclopédies, histoires, cartes et atlas géographiques, revues, films et documentation visuelle, blogs et sites spécialisés, sources numériques).
Au sens figuré, on se demandera comment l’espace se construit comme un objet mental, culturel et social, dans une démarche pouvant allier la connaissance du réel à l’imagination de cette réalité, sans exclure l’appropriation d’un savoir théorique ou empirique. Le champ des questionnements couvre notamment les cartes mentales, l’invention de grilles de lecture des espaces (« l’Europe orientale » au siècle des Lumières, les « Balkans » d’abord byzantins, puis ottomans, ensuite autrichiens et enfin yougoslaves, avec un intermède national-socialiste), la fabrique des espaces de sociabilité ou des espaces de non-droit, que ce soit dans le monde du travail, dans les espaces naturels (Bannleuca – banlieue – Bannmeile ; no man’s land/Niemandsland) ou dans les rapports sociaux et de genre.

Dans le domaine littéraire, la question du rapport entre géographie réelle et géographie imaginée revêt un sens particulier du fait du brouillage des frontières génériques entre fiction et historiographie. Cette question fluctue au gré des époques envisagées, mais jusqu’au 18e siècle, le recours à l’autorité des sources doit suffire à cautionner l’authenticité de la représentation donnée des territoires dans l’espace textuel. Dans ce processus qui mêle expérience et invention de l’espace (Ihring et Rimpau 2015), la construction géographique est intimement liée à la constitution d’un savoir encyclopédique, mais aussi à un processus mêlé de fascination, d’appropriation et d’exclusion.

Pour l’époque médiévale, l’exploration littéraire des territoires «autres» que représente l’Orient, objet tout à la fois de fascination, d’appropriation et d’exclusion, pourra constituer un champ d’analyse privilégié, tout comme la littérature viatique du Moyen Âge et des débuts de la Première Modernité. Pour la littérature moderne et contemporaine, on s’interrogera notamment sur la diversité des formes d’expression relatives aux descriptions des espaces : l’écriture poétique qui se déploie dans les fictions de voyage, la réception de la Grande Guerre, la (non-)représentation de l’horreur produite entre 1933 et 1945 au cœur même de la civilisation européenne, des déplacements forcés des années 1930 et 1940, les langages littéraires employés par les « Allemands de statut » que le gouvernement de la RFA avait littéralement « rachetés » aux régimes communistes pendant la Guerre Froide, l’esthétique des récits de transhumances humaines et de migrations, qui interrogent le territoire dans sa dimension juridique et dans ses frontières. On pourra réfléchir à l’ampleur croissante des phénomènes de trans- et d’extraterritorialité, tant au niveau de la production des textes que des réseaux de circulation, de traduction et de réception, et aux conséquences de ce saut d’échelle pour les études littéraires en général, et pour l’historiographie littéraire en particulier : l’histoire de la littérature germanophone ne peut-elle plus être désormais que « mondiale » (Richter 2017) ? L’internationalisation du champ littéraire (Moretti 2000, Casanova 2008) prend aussi une nouvelle dimension avec l’émergence de catégories de textes d’emblée « transnationaux » (Taberner 2017), reflets directs de la globalisation politique, économique et sociale, identifiées par la communauté scientifique comme des littératures du déplacement (Migrationsliteratur, Flüchtlingsliteratur) ou de l’entre-deux (« littérature interculturelle », « transculturelle », « sans domicile fixe »…). D’autre part, on peut se demander si la spatialisation croissante des approches de l’objet littéraire, que traduit la fortune critique dans ce champ de concepts comme « hétérotopie » (Foucault), « déterritorialisation » (Deleuze/Guattari), « tiers espace » (Bhabha) ou encore «ethnoscape» (Appadurai), ne conduit pas paradoxalement à une forme d’oblitération du territoire dans sa matérialité.

Dans le domaine de la civilisation s’ouvrent de nombreux questionnements, liés à l’interprétation de l’espace dans ses strates historiques et culturelles, et à la reconfiguration du territoire comme un espace de projection idéelle sous l’effet de débats sociaux et politiques. Au

croisement entre littérature et civilisation, on pourra étudier comment, à partir de la Première Modernité, les auteurs de textes fictionnels ou leurs éditeurs ont pu intégrer des cartes géographiques en lien avec les lieux décrits par la littérature (Chartier 2022). Concernant le rapport textes / cartes géographiques et images, on pourrait mentionner les cartes médiévales en TO (à l’exemple de la carte d’Ebstorf) ; la réalisation de cartes illustrées qui favorisent la catégorisation culturelle des espaces (Johann Baptist Homann), ou encore les panoramas de l’Empire autrichien (Jakob et Rudolf von Alt sur commande de l’empereur Ferdinand 1er). Dans une perspective intermédiale, on pourra analyser dans quelle mesure la documentation en image des territoires contribue à redessiner la géographie imaginée dans l’espace textuel, et comment la photographie et les techniques de reproduction modernes ont modifié les approches.

L’exploration des territoires est au cœur de la littérature de voyage, des approches ethnographiques et des traités naturalistes et écologiques. En prenant appui sur les acquis de la recherche sur les transferts culturels, on pourra interroger les phénomènes de circulation, d’appropriation et de rejet. Les textes produits dans/sur les territoires occupés en temps de guerre rendent compte des approches idéologiques, et d’une spatialité faite d’interdits, de zones condamnées, et d’espace de repli, tandis que naissent et disparaissent certains espaces. La problématique de la « reterritorialisation » dans le contexte des débats actuels sur la restitution des biens spoliés pendant la colonisation et des recherches sur leur provenance pose la question des modalités de la réinsertion spatiale des objets (après restitution) et revêt une dimension à la fois pratique et philosophique.Il faudrait inclure aussi l’étude des communautés germanophones (ou d’ascendance germanophone) sur d’autres territoires, en incluant les migrations transcontinentales (Amériques, Russie, Israël…). La présence de territoires et de populations germanophones hors des frontières politiques de l’Empire est un phénomène ancien, qui accompagne sa fondation. La visibilité croissante de cette « germanophonie hors les murs » dans la recherche dénote ou induit un changement de perspective sur les contours de ce qu’on appelait jusqu’ici le « monde germanique ».

Le domaine de la linguistique pourra tout particulièrement contribuer à interroger le rapport entre langue et territoire au sein des études germaniques, dont l’objet se définit par un critère tant linguistique que géographique : l’espace germanophone. Un espace pourtant rien moins que monolingue, où s’inscrivent des langues diverses (romani, sorbe, danois, tchèque, slovène, arabe, turc…) et variées (dialectes, sociolectes…). La linguistique variationnelle (Variationslinguistik ou Varietätenlinguistik, voir Dürscheid et Schneider 2019) a mis en évidence l’hétérogénéité fondamentale des langues naturelles conçues comme un diasystème (Weinreich) où se déclinent et se superposent les variations diatopiques, diaphasiques et diastratiques (Coseriu). Ainsi, il est possible d’appréhender la langue comme une manière de situer précisément le locuteur dans un lieu physique, historique et social qui lui est propre. Les débats autour du caractère pluricentrique ou pluriaréal (Plurizentrizität vs. Pluriarialität) de l’allemand rappellent aussi que le rapport entre langue et territoire conserve une dimension éminemment politique. Enfin, la lecture du territoire par la langue peut être abordée sous l’angle de la linguistique perceptive, afin de prendre en compte les jugements spontanés formés par les locuteurs sur les différents accents et dialectes et ainsi que leur conscience des variétés linguistiques. L’étude des contacts linguistiques de l’allemand avec les autres langues implantées sur le territoire des pays germanophones, de même qu’avec les langues des pays ayant connu la colonisation allemande ou l’immigration de populations germanophones (projets NamDeutsch et Israel-Korpus), remet également en question la vision d’un espace uniforme et eurocentré, tout en montrant comment la langue est à la fois mobile, transportable, et indissociable des lieux, des contextes et des rapports sociaux où elle se parle. Le contexte migratoire en particulier

pose la question de l’acquisition d’une langue seconde, qui s’impose dans l’ici, par rapport à une langue d’héritage « déterritorialisée », renvoyée à l’ailleurs.
La langue donne à lire le territoire, mais le territoire se lit aussi dans la langue : des études lexicologiques, lexicographiques et sémantiques à partir notamment de l’analyse du discours, de la linguistique cognitive et des grammaires de construction peuvent éclairer la notion même d’espace telle qu’elle trouve à s’exprimer en allemand (De Knop 2020). L’histoire de concepts- clés comme Raum, Heimat, Europa, Grenze etc. peut même permettre de jeter des ponts entre les différents domaines des études germaniques en combinant l’approche linguistique avec l’étude de la civilisation et de la littérature.

Bibliographie

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Moretti, Franco, « Conjectures on World Literature », New Left Review, vol. 1, 2000, p. 54-68. Richter, Sandra, Eine Weltgeschichte der deutschsprachigen Literatur, München, Bertelmann Verlag, 2017.

Savoy, Bénédicte, À qui appartient la beauté ? (avec la collaboration de Jeanne Pham Tran), Paris, La Découverte, 2024.

Taberner, Stuart, Transnationalism and German-Language Literature in the Twenty-First Century, London/New York, Palgrave Macmillan, 2017.

Comité d’organisation

Christine Meyer – Herta Luise Ott – Ludolf Pelizaeus – Anne Sommerlat – Marie-Sophie Winter

Comité scientifique

Evelyne Jacquelin (Université d’Artois), Gudrun König (TU Dortmund), Oxane Leingang (TU Dortmund), Sandra Richter (Deutsches Literaturarchiv Marbach), Mathias Herweg (Karlsruher Institut für Technologie), Johann Georg Lughofer (Univerza v Ljubljani), Klaus Schenk (TU Dortmund), Christian Zimmer (TU Dortmund)