Ecole doctorale LECLA / Etudes germaniques
Titre du projet de thèse :
« L’émancipation par la traduction ? Trajectoires féminines en Allemagne (XVIIIe-XXe siècles) »
Prière de contacter Madame MARCHENOIR avant toute candidature : sylvie.marchenoir@ube.fr
Présentation du projet
- Contexte scientifique et état de l’art
Ce projet de contrat doctoral concerne les études germaniques et a pour originalité de s’inscrire à la fois dans le domaine des études de genre, de l’histoire des femmes et de la translatologie. Si les études de genre ont conduit jusqu’à présent les germanistes allemands et français à s’intéresser dans une perspective historique à l’émancipation des femmes allemandes aux XIXe et XXe siècles, c’est essentiellement parce que le concept d’émancipation au féminin voit le jour à cette époque. La question de l’émancipation des femmes a ainsi été largement étudiée en littérature, philosophie, histoire et sciences sociales, dans tous les pays occidentaux, et particulièrement en lien avec les XIXe et XXe siècles. L’histoire de la traduction, en tant qu’acte culturel et politique, a parallèlement suscité un intérêt croissant, notamment en ce qui concerne le rôle de la traduction dans la diffusion des idées, des cultures et des mouvements sociaux comme le féminisme (Flotow 1997 et 2017, Richter 2016). Cependant, l’intersection entre l’émancipation des femmes et le champ de la traduction demeure largement sous-explorée, en particulier en Allemagne.
Dans le domaine des études germaniques, plusieurs chercheurs et chercheuses ont mis en lumière l’impact des femmes traductrices dans la circulation des savoirs, par exemple celui de Luise Gottsched dès le XVIIIe siècle (Brown 2012). Mais des figures du proto-féminisme ou de la première vague du féminisme comme Sophie Mereau (1770-1806), Therese Huber (1764-1829), Malwida von Meysenbug (1816-1903) ou Clara Zetkin (1857-1933) sont souvent analysées dans le cadre de leurs contributions littéraires ou journalistiques sans que leur rôle en tant que traductrices n’ait été suffisamment étudié dans la perspective de la circulation des idées féministes et de l’émancipation des femmes. De même, on commence seulement de s’interroger en Allemagne sur la place des traductrices dans la traduction des œuvres clés de la deuxième et de la troisième vague du féminisme, celles de Simone de Beauvoir, des féministes françaises des années 1970-1980 comme Luce Irigaray et Hélène Cixous, et celles des féministes américaines comme Betty Friedan et Judith Butler (Bardeleben 2024). Aujourd’hui, les théories féministes de la traduction, inspirées par des autrices anglo-saxonnes contemporaines comme Sherry Simon (1996) ou Luise von Flotow (2017 et 2020), ont commencé de questionner l’implication des femmes traductrices dans les dynamiques de pouvoir, de représentation et de création culturelle.
Ce projet de thèse vise à combler ce vide dans les études germaniques en analysant les trajectoires de femmes traductrices en Allemagne, en explorant comment la traduction peut être un vecteur d’émancipation et un instrument de réappropriation des voix féminines.
- Argumentaire technique et scientifique : Problématique, enjeux, méthodologie.
Ce projet de thèse propose de réfléchir à la traduction (en tant que théorie, métier, pratique, voire acte de création) comme possible instrument d’émancipation pour les femmes allemandes. La thèse envisagée devra permettre de comprendre en quoi et comment la traduction, en tant qu’acte de médiation culturelle, a potentiellement servi d’outil d’émancipation pour les femmes en Allemagne du XVIIIe au XXe siècle. Les principales questions seront :
– Comment les femmes traductrices ont-elles utilisé la traduction pour s’émanciper elles-mêmes (émancipation intellectuelle et/ou économique) ?
– La traduction a-t-elle accompagné des processus de création littéraire propre chez des femmes encouragées à prendre la plume par leur pratique de la traduction (émancipation artistique) ?
– Quel rôle les traductrices ont-elles joué dans la circulation des idées féminines / féministes au sein des sociétés germanophones (émancipation sociale et politique) ?
– En quoi la traduction a-t-elle permis aux femmes d’occuper une place dans les débats intellectuels, politiques et sociaux de leur époque ? Quels sont les mécanismes de pouvoir et de représentation qui se manifestent dans les traductions féminines (émancipation culturelle, sociale et politique) ?
Les enjeux de cette étude sont multiples :
– réévaluation du rôle des femmes dans l’histoire de la traduction : la thèse devra mettre en lumière l’impact souvent invisible des traductrices dans la construction des savoirs et des représentations ;
– approfondissement des liens entre traduction et émancipation, exploration des processus par lesquels la traduction participe à l’émancipation culturelle et sociale des femmes ;
– déconstruction des rapports de pouvoir : il s’agira d’examiner les stratégies linguistiques et les choix de traduction des femmes et d’analyser comment la traduction peut à la fois reproduire et subvertir les hiérarchies de genre.
Concernant la méthodologie, le doctorant / la doctorante fondera son étude sur une approche interdisciplinaire, combinant l’histoire sociale, l’histoire littéraire, la traduction comparée et les études de genre. Il/elle devra avoir recours aux principes méthodologiques suivants :
– étude de cas : présentation de trajectoires spécifiques de traductrices allemandes (voir les exemples cités dans les indications bibliographiques) pour analyser leur pratique de la traduction et leur implication dans la construction des identités féminines à une époque donnée ;
– analyse historique et contextuelle : il importera de contextualiser les traductions au regard des mouvements féministes, sociaux et littéraires de l’époque, notamment en les inscrivant dans les débats sur l’émancipation des femmes en Allemagne ;
– analyse textuelle comparative : il conviendra d’étudier des traductions effectuées par ces femmes au regard des œuvres originales, en mettant l’accent sur les choix linguistiques, les stratégies de traduction et les représentations de genre dans les œuvres traduites ;
– analyse de réception : il faudra analyser la manière dont ces traductions ont été reçues par le public et les critiques, ainsi que leur influence sur les débats contemporains sur les droits des femmes.
Le doctorant / la doctorante travaillera ainsi sur un corpus varié, allant de la traduction de textes littéraires, d’œuvres de fiction ou de recueils poétiques, à celle d’essais philosophiques ou politiques, en passant par la traduction de récits de voyage ou d’articles de presse. Il conviendra chaque fois de s’interroger sur la pertinence du choix de traduire certains genres littéraires / types de texte plutôt que d’autres en matière d’émancipation féminine.
- Objectifs et résultats escomptés
L’objectif principal de cette thèse sera de réévaluer la place des femmes traductrices dans l’histoire littéraire allemande et de contribuer à approche novatrice des rapports de genre dans la traduction. Il s’agira de démontrer que la traduction, loin d’être un simple acte de reproduction linguistique, a constitué un véritable moyen d’émancipation pour les femmes en Allemagne, leur permettant de redéfinir leur place dans les champs littéraire, politique et social. Plus précisément, la thèse cherchera à :
- identifier des femmes traductrices marquantes et analyser leurs contributions à la diffusion des idées féministes et de la pensée émancipatrice ;
- réfléchir à la manière dont leurs traductions ont participé à l’élargissement des horizons intellectuels des femmes en Allemagne ;
- mettre en évidence les stratégies de résistance et de subversion utilisées par ces traductrices pour s’insérer dans un environnement culturel et intellectuel dominé par les hommes ;
- jeter un nouveau regard sur la traduction féminine contemporaine, en la considérant comme un acte de pouvoir et de réappropriation ; s’interroger sur l’actualité et les modalités de ce type de médiation au XXIe siècle.
- Laboratoire de rattachement et Insertion du projet dans les axes de recherche du labo
La recherche du doctorant / de la doctorante est appelée à s’intégrer dans les travaux de l’équipe « Modèles et discours » du Centre Interlangues TIL. Elle confortera les études de translatologie au sein de l’équipe, ouvrant la voie à l’étude des rapports de genre dans ce domaine.
- Partenariats éventuels, environnement scientifique
Le doctorant / la doctorante bénéficiera d’un environnement scientifique de qualité au sein de l’équipe « Modèles et discours », pouvant confronter son approche à celle d’autres chercheurs spécialistes de translatologie. Il/elle consultera aussi avec profit le répertoire des traducteurs élaboré par des collègues de l’Institut de translatologie de l’université partenaire de Mayence (Germersheim) : https://uelex.de/uebersetzer/
Ce projet de thèse aura également pour vocation de s’insérer dans les recherches menées au sein du Collège doctoral franco-allemand Dijon-Mayence et portant sur la thématique générale « Configurations nouvelles : échanges, variations, identités ». Le doctorant / la doctorante sera conduit.e à participer aux manifestations scientifiques des deux axes transversaux directement en lien avec son sujet de recherche, « Langue(s) et société » et « Construction des identités et des hiérarchies de sexe & modes de leur transgression, déconstruction et abolition ». Il/elle prendra part avec profit aux Journées doctorales franco-allemandes Dijon-Mayence, lui offrant chaque année l’occasion de présenter l’état de ses recherches dans un cadre international, interdisciplinaire et interculturel.
La recherche portant sur un corpus allemand et se situant à la croisée des études littéraires, historiques et linguistiques (translatologie), elle donnera lieu à une codirection de thèse permettant l’encadrement par une germaniste spécialiste des études de genre (Sylvie Marchenoir à l’Université Bourgogne Europe) et par un collègue allemand linguiste, romaniste et spécialiste de translatologie (Michael Schreiber à l’Université Johannes Gutenberg de Mayence / Germersheim : https://www.schreibmich-online.de/39994.html). La codirection de thèse par un collègue de Mayence impliquera l’établissement d’une cotutelle de thèse internationale.
- Bibliographie indicative
- Sources (exemples)
Traduction réalisées par la femme de lettres Luise Gottsched (1713-1762)
Traductions réalisées par la journaliste et écrivaine Therese Huber (1764-1829)
Traductions réalisées par la socialiste et féministe Clara Zetkin (1857-1933)
Traductions réalisées par l’activiste communiste Rosa Luxemburg (1871-1919)
Traductions réalisées par diverses femmes, dont Clara Zetkin, dans les plus grands organes féministes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle :
- Neue Bahnen. Organ des Allgemeinen Deutschen Frauenvereins (1866-1920), éd. Louise Ottopuis Auguste Schmidt (jusqu’en 1902), Leipzig: Schäfer (1866-1906), puis Berlin: Oehmigke, 1907-1920.
- Die Gleichheit (1894-1923), éd. Clara Zetkin puis Marie Juchacz à partir de 1917, Stuttgart : Dietz.
Traductions réalisées par des féministes et universitaires allemandes lors de la deuxième vague et de la troisième vague du féminisme :
- Eva Rechel-Mertens, traductrice de Simone de Beauvoir : Das andere Geschlecht (1951) [Le Deuxième Sexe, 1949]
- Margaret Carroux, traductrice de Betty Friedan : Der Weiblichkeitswahn (1966) [The Feminine Mystique, 1963]
- Eva Meyer et Heidi Paris, traductrices de Luce Irigaray : Das Geschlecht das nicht eins ist (1979) [Ce sexe qui n‘en est pas un, 1977]
- Le collectif de femmes (Xenia Rajewsky, Gabriele Ricke, Gerburg Treusch-Dieter et Regine Othmer) traductrices de Luce Irigaray : Speculum, Spiegel des anderen Geschlechts (1980) [Speculum, de l’autre femme, 1974]
- Kathrina Menke, traductrice de Judith Butler : Das Unbehagen der Geschlechter (1991) [Gender Trouble, 1990]
- Claudia Simma, traductrice d’Hélène Cixous : Das Lachen der Medusa (2013) [Le rire de la Méduse, 1975]
- Études sur la littérature féminine, l’histoire des femmes allemandes et leur émancipation aux XIXe et XXe siècles
Briatte-Peters, Anne-Laure, Citoyennes sous tutelle. Le mouvement féministe « radical » dans l’Allemagne wilhelminienne, Bern / Berlin : Lang, 2013.
Farges, Patrick / Saint-Gille, Anne-Marie (Éd.), Le premier féminisme allemand 1848-1933, Villeneuve d’Asq : Presses universitaires du Septentrion, 2013.
Marchenoir, Sylvie, Sur le chemin de l’émancipation : le discours des femmes allemandes sur la différence et l’inégalité entre les sexes 1770-1933. (= Zivilisationen und Geschichte / Civilizations and History / Civilisations et Histoire ; 84), Berlin / Bruxelles / Chennai / Lausanne / New York / Oxford : Lang, 2025.
Schötz, Susanne, „‚Alle für Eine und eine für Alle‘? Zur Geschichte weiblicher Emanzipationsbestrebungen im 19. Jahrhundert in Leipzig, in: Brieler, Ulrich / Eckardt, Rainer (Eds.), Unruhiges Leipzig. Beiträge zu einer Geschichte des Ungehorsams in Leipzig, Leipzig: Leipziger Universitätsverlag, 2016.
- Articles et ouvrages sur les transferts culturels, notamment grâce aux traductrices
Banoun, Bernard / Poulin, Isabelle / Chevrel, Yves, Histoire des traductions en langue française : XXe siècle, 1914-2000, Lagrasse : Verdier, 2019.
Brown, Hilary, Benedikte Naubert (1756–1819) and her Relations to English Culture. London: Maney Publishing for the Modern Humanities Research Association and the Institute of Germanic Studies (University of London), 2005.
Brown, Hilary, Luise Gottsched the Translator. Rochester : Camden House, 2012.
Delisle, Jean, Portraits de traductrices, Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa, 2002.
Johns, Alessa, Bluestocking Feminism and British-German Cultural Transfer, 1750-1837. Ann Arbor : University of Michigan Press, 2014.
Kelletat, Andreas F., „Lesen, Denken und Schreiben – Rosa Luxemburg als Übersetzerin“, in: Richter, Julia (Ed.): (Neu-)Kompositionen. Aspekte transkultureller Translationswissenschaft. Liber amicorum für Larisa Schippel. Berlin : Frank & Timme, 2016, p. 151-178.
Lerousseau, Andrée, Des femmes traductrices, entre altérité et affirmation de soi, Paris : L’Harmattan, 2013.
Richter, Julia et al. (Eds.), (Neu-)Kompositionen. Aspekte transkultureller Translationswissenschaft. Liber amicorum für Larisa Schippel. Berlin: Frank & Timme, 2016.
Wehinger, Brunhilde / Brown, Hilary (Eds.), Übersetzungskultur im 18. Jahrhundert. Übersetzerinnen in Deutschland, Frankreich und der Schweiz, Hannover: Wehrhahn, 2008.
Bardeleben, Renate von / Matter-Seibel, Sabina / Veauthier, Ines E., Frauen, Gender und Translation. Eine annotierte Bibliografie. Germersheim: FTSK. Publikationen des Fachbereichs Translations-, Sprach- und Kulturwissenschaft der Johannes Gutenberg-Universität, vol. 77, 2024.
Belingard, Laurence / Boisseau, Maryvonne / Maïca Sanconie, Maïca, « Traduire, créer », in : Meta : journal des traducteurs (La traduction littéraire comme création) 62/3, 2017, p. 489-500.
Flotow, Luise von, Translation and Gender: Translating in the ‘Era of Feminism’, New York: Routledge, 1997.
Flotow, Luise von / Farahzad, Farzaneh, Translating women: Different Voices and New Horizons, New York: Routledge, 2017.
Flotow, Luise von / Kamal, Hala, The Routledge Handbook of Translation, Feminism and Gender, New York: Routledge, 2020.
Hanotte, Xavier, « Création et traduction », in : Klimis, Sophie / Ost, Isabelle / Van Eynde, Laurent : Translatio in fabula : Enjeux d’une rencontre entre fictions et traductions, Bruxelles : Presses de l’Université Saint-Louis, 2019, p. 273-284.
Liu, Lydia H., Translingual Practice: Literature, National Culture, and Translated Modernity – China, 1900-1937, Stanford University Press, 1995.
Maier, Carol, “A woman in translation, reflecting”, in : Translation Review, vol. 17, n° 1, 1985, p. 4-8.
Möser, Cornelia, Féminismes en traductions : théories voyageuses et traductions culturelles, Paris : Éditions des archives contemporaines, 2013.
Sardin, Pascale (Ed.), Traduire le genre : femmes en traduction, in : Palimpsestes n° 22, Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2009.
Simon, Sherry, Gender in Translation: Cultural Identity and the Politics of Transmission, New York: Routledge, 1996.
Tashinskiy, Aleksey / Boguna, Julija (Eds.), Das WIE des Übersetzens. Beiträge zur historischen Übersetzerforschung, Berlin : Frank und Timme, 2019.
- Calendrier prévisionnel
– Première année : réalisation de l’état de l’art, étude de l’appareil théorique tant des études de genre (histoire des femmes allemandes, concept d’émancipation) que de la translatologie, constitution du corpus définitif.
– Deuxième année : études de cas : parcours de vie des traductrices et analyse de leurs traductions et de leurs objectifs.
– Troisième année : synthèse des travaux d’analyse des traductions et rédaction de la thèse.
Profil recherché
Le projet s’adresse à des candidates et candidats titulaires d’un master obtenu en France ou à l’étranger en Études germaniques ou dans un domaine de recherche en lien avec le sujet de thèse (études de genre, histoire des femmes, traduction, translatologie).
La maîtrise de l’allemand est requise. La thèse pourra être rédigée en allemand si le candidat est germanophone, mais il devra avoir un minimum de connaissances en langue française pour pouvoir défendre sa candidature à l’obtention du contrat doctoral lors d’un entretien de recrutement en France et rédiger par la suite un résumé de sa thèse en français.
La candidate ou le candidat devra si possible avoir déjà travaillé sur les questions de genre, l’histoire des femmes allemandes ou la translatologie, par exemple lors de la rédaction de son mémoire de master.
Renseignements administratifs sur la direction de thèse et la candidature
Directrice de thèse (HDR) : Sylvie MARCHENOIR (Études germaniques / CNU 12)
Université Bourgogne Europe
UFR Langues et Communication – Département d’allemand
4, Boulevard Gabriel – 21000 Dijon
Mail : sylvie.marchenoir@ube.fr
Unité de recherche d’appartenance : Centre Interlangues Texte, Image, Langage (TIL – UR 4132), directeur : Laurent Gautier
Candidature en ligne avant le 5 juin 2025 minuit : https://lecla.ubfc.fr/parcours-doctorale/proposition-de-contrats-doctoraux/
Prière de contacter Madame MARCHENOIR avant toute candidature : sylvie.marchenoir@ube.fr